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La salle de la Comédie

Le 13 mars 1750, Jean Delautel, tonnelier à Beaune avait acheté à Joseph Théodore François Payen, conseiller secrétaire du roi, lieutenant civil au bailliage de Beaune et de Thérèse Bonguelet son épouse un vaste emplacement donnant d’une part sur la rue des Jacobins et d’autre part sur le Rempart.

C’est en 1766 que Jean Delautel[1] obtient de la chambre de ville l’autorisation de faire construire et de gérer sur cet emplacement une salle de spectacle à Beaune.

Il reçoit l’accord de la chambre de ville le 16 juin 1766 avec le privilège exclusif de faire représenter et jouer des comédiens, danseurs, marionnettes… et même de donner des bals publics avec exemption ou privilèges ordinaires en pareil cas.

La salle est inaugurée avant la fin des travaux le 18 avril 1768 ainsi que le raconte Henri Clemencet dans ses mémoires :

« l’an mil sept cent soixante huit, le jeudy dix huitième jour d’avril, on a commencé à jouer la comédie dans la salle des spectacles près les Jacobins[2], chez Jean Delautel. Monseigneur l’Intendant y étoit, accompagné de plusieurs autres seigneurs. Le nombre des acteurs étoit de trente. Les premières places à quarante sols, les secondes à vingt quatre et le parterre à douze sols[3]. »

La construction aurait coûté 60 000 livres à Jean Delautel, ce qui est une somme considérable. Delautel est même dans l’obligation de faire un emprunt auprès de la chambre de ville d’une somme de 3 000 livres, ce qui lui est accordé par délibération du 16 juin 1769.

Le bâtiment est orné en façade, au fronton de la porte, des attributs de la Comédie sculptés par l’artiste beaunois Jean-Louis Bonnet. On retrouve également une œuvre de Bonnet au-dessus de la porte : une inscription et un écusson surmonté d’un heaume entouré d’un caducée, d’une lance, d’une épée et d’un bâton de fou. Jean Delautel avait également sollicité la protection du Prince du Condé en lui demandant s’il pouvait apposer les armes de ce dernier sur le frontispice de la salle.

Les dimensions de la salle étaient les suivantes : 22 m de long, 9,80 m de large et 8,50 m de haut. Le long des murs était disposée une galerie de huit rangs de sièges et quelques loges. Le devant des loges était orné des armes royales tandis que l’intérieur était tapissé d’un papier bleu orné de fleurs de lys.

Le décor changera au fil des régimes : les archives gardent la trace d’une lettre du voyer Guichard datant du Second Empire, indiquant que les aigles impériales remplaceront les fleurs de lys, il écrit qu’il faut faire disparaître :

« tout ce qui peut avoir raport aux Bourbons. Cet objet est urgent, attendu qu’un jour à l’autre, il peut arriver des comédiens[4]. »

La salle proprement dite était complétée du côté nord par deux petites chambres donnant sur le rempart, chambres qui servaient de foyer et de loges d’habillement aux artistes.

En 1845, un document atteste qu’il existait trois rangs de loges circulaires et une enceinte d’une contenance de trois cents personnes debout.

Au fond se trouvait la scène, à l’arrière : le foyer des artistes. Le rideau était orné de couronnes.

On connaît quelques-uns des spectacles qui s’y sont déroulés grâce aux archives : une délibération du 9 prairial an 2[5] autorise le sieur Geoffroi, directeur de spectacles, à donner des bals à la salle de la Comédie pour un prix de 15 sols par personne. Permission lui est accordée de donner des bals chaque fois qu’il le jugerait à propos. Toutefois, il est tenu de communiquer à la municipalité le répertoire des pièces qu’il se proposera de jouer. Le citoyen Bernard est chargé de les examiner et aucune pièce ne pourra être jouée sans l’avis favorable du conseil municipal.

Par délibération du 10 thermidor an 3, on décide que la première loge, à droite de l’amphithéâtre, proche de l’escalier, demeurera exclusivement réservée à la municipalité. La loge sera donc munie d’une serrure dont la clef sera conservée au bureau municipal.

Un arrêté du directoire exécutif en date du 18 nivôse an 4 décide que M. Jouffroy, directeur de spectacles devra faire jouer chaque jour, au lever de la toile, les airs républicains comme la Marseillaise, le ça ira, Veillons au Salut de l’Empire, le Chant du Départ et dans l’intervalle de deux pièces de chanter la Marseillaise et d’exiger que l’orchestre accompagne le chant.

Le 18 septembre 1830, Nicole Delautel, héritière du constructeur, lègue la salle par testament à son cousin germain Philippe Lacaille[6] qui propose à la commune de la lui céder par lettre du 7 février 1845. En effet, Lacaille ne rentre plus dans ses frais et exprime le souhait de changer la destination de son immeuble afin d’en tirer des revenus mais il propose donc également à la ville de racheter la salle ou à défaut de lui verser une subvention annuelle de 1 000 F, de payer les impôts et les réparations.

Dans le bail qui lie la ville de Beaune et la famille Lacaille, daté du 4 avril 1846, la salle n’est plus appelée « salle de la Comédie » mais « Théâtre de Beaune ». Le bail est signé pour 18 ans pour une somme annuelle de 800 F. La municipalité prend à sa charge l’impôt sur les portes et fenêtres et les réparations. Une loge est réservée gratuitement au propriétaire pendant toute la durée du bail[7]. La ville fait estimer les travaux a réaliser dans la salle à cette occasion

Après 1853, les spectacles cessent à la Comédie. La ville reste locataire des murs jusqu’en 1888 mais la destination de la salle change car en 1872, la commune sous-loue l’endroit à M. Izembart président de la Société de Gymnastique, qui y installe une salle de gymnastique. On remplace alors la galerie par des agrès.

Par ailleurs, Izembart, vénérable de la loge maçonnique de Beaune, héberge ses tenues – réunions – dans la grande pièce située au-dessus du foyer par laquelle on accédait par les remparts.

En 1888, la location et la sous-location cessent. En effet, la municipalité installe la salle de gymnastique à la chapelle de l’Oratoire tandis que la loge maçonnique s’installe dans le local qu’elle avait fait construire rue de la Loge -actuelle rue Jacques Vincent[8].

 Les propriétaires, M. et Mme Jourdan-Lacaille, vendent la salle trois ans plus tard à Jules Senard, négociant en vins qui restaure la salle en 1894-95 et en confie la décoration à M. Vedis Brivot, peintre beaunois. La salle redevient alors une salle de bals, de concerts, de conférences, banquets, noces et réunions.

 La nouvelle salle fut en quelque sorte inaugurée le 1er février 1896 par le bal des conscrits de la classe 1895. Le 12 novembre 1922, la salle accueille le ministre du commerce, Lucien Dior.

En 1927, les négociants Édouard et Daniel Moingeon frères l’achètent et l’utilisent comme dépôt de marchandises pour leur commerce de vins.

Aujourd’hui, la Comédie sert de demeure d’habitation.

Sources :

Archives municipales de Beaune

  • Délibérations du conseil municipal de Beaune, 1766, 1768, 1769
  • 4 M 5 : dossier concernant la salle de spectacle de la Comédie (1845-1922)
  • Mémoires d’Henri Clémencet, tome 2 : récit de l’inauguration de la salle en 1768.
  • Archives Théâtre – salle de la Comédie : articles sur la Comédie

©Archives municipales de Beaune


[1] Décédé rue de la Fédération, le 12 Floréal an 2 à l’âge de 72 ans. Il avait épousé Claudine Marillier et a eu pour fille Nicole Delautel.

[2] Actuellement 28 rue Spuller

[3] Archives municipales de Beaune, recueil des amusements d’Henry Clémencet tome 2

[4] Archives municipales de Beaune, 4 M 5

[5] 28 mai 1794

[6] La salle passe ensuite à son fils, Philippe Auguste Lacaille qui la conserve jusqu’à sa mort en 1884, date à laquelle la salle passe à sa fille Félicité Alice Lacaille, épouse d’Athanase Henri Jourdan, directeur de la Société générale de Nevers.

[7] 4 M 5

[8] La rue de la Loge est débaptisée en 1941 suite aux lois antimaçonniques du régime de Vichy, il est toutefois cocasse de noter que Jacques Vincent dont le nom avait été choisi pour se substituer à celui de la Loge était… franc-maçon.

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