Articles·Vigne et Vin

La Combe Gaufillot ou « la ruine des vins nobles »

Dans le cadre du Mois des Climats 2021, les Archives ont organisée une mini-exposition sur le rapport entre les Climats et les archives : Climats d’encre et de papier.

L’une des pièces de cette exposition était en quelques sorte une petite cousine de la Charte de Philippe le Hardi du 6 aout 1395[1] qui fait référence dans l’histoire de la Côte viticole. En effet, ce texte de 1632[2] donne lui aussi des informations précieuses sur l’évolution des paysages et la sélection des meilleures parcelles pour l’implantation de vigne.

Dans les années 1620-1630, la Ville de Beaune prend plusieurs mesures contre des plantations de vignes faites dans les communaux[3] se situant à la Combe Gauffilot. Nous conservons plusieurs délibérations[4] sur cette affaire, ainsi que des procès-verbaux d’arrachage[5] des dites vignes et enfin un extrait du registre du Parlement de Dijon sur le règlement du conflit. Les terrains sont illégalement occupés au détriment du bétail qui avait l’habitude d’y pâturer.

L’affaire est un exemple intéressant qui montre plusieurs aspects de la vie économique du XVIe siècle. C’est aussi un exemple des rapports de force entre particuliers, pouvoirs locaux et parlementaires. Enfin c’est un texte qui montre les ressorts qui pendant des siècles ont formé les Climats de Bourgogne.

La combe Gaufillot : du Bois dense à la Friche du XIXe siècle

L’affaire de la Combe Gaufillot nous est donc connue par un ensemble de document des années 1624 à 1633. Le document sur lequel nous allons particulièrement nous attarder est l’arrêt du Parlement de Dijon du 30 décembre 1632. Il règle le litige entre la ville et plusieurs particuliers qui occupaient les communaux de la ville en les plantant en vigne.

On trouve aujourd’hui une Chaume Gaufriot à l’est de la ville de Beaune. En 1380 le lieu est connu sous le nom de « En Gaufuillot ». Ce nom est composé de Gau qui signifie bois, forêt et de fuillot, de l’ancien français feuille (du latin folium, « la feuille ») désignant un fourré[6]. On peut en déduire que vers 1380, la zone est densément boisée. Un rapprochement de nom permet de déterminer que le site nommé « Combe Gaufillot » au début du XVIIe siècle se trouve dans les parages de l’actuelle Chaume Gaufriot. Ces étymologies successives nous permettent de savoir que la zone est un lieu boisé à la fin du XIVe siècle. Ce qui correspond bien à ce que l’on peut observer à la même époque en France après l’hécatombe de la Grande Peste des années 1340 et la Guerre de Cent ans qui vident les villes et campagnes. Les zones cultivées régressent et les forêts s’étendent. Au XVIe siècle, la zone sert de pâturage au bétail, nombreux dans la région. Enfin la Révolution Française libère l’accès à la propriété privée pour les paysans qui surexploitent les forêts hors de tout cadre juridique, entraînant le plus fort recul des zones boisées en France. Ainsi, le cadastre de 1826 dénomme dorénavant cette partie du finage Chaume[7] Gaufriot.

Arrêt du Parlement de Dijon qui approuve la délibération de la
mairie du 17 octobre 1631 qui ordonne l’arrachement de toutes
les vignes de la Combe Gaufillot, 30 décembre 1632, parchemin, Carton 94 n°12, AMB.

L’arrêt de 1632 : le mésusage d’une parcelle réservée au bétail

Dans les années 1620, la terre de la Combe Gaufillot est « dependante des communaux de lad(ite) ville ayan servy de tout temps pour le pasturage du betail ». Les communaux sont des terres dont la gestion revient aux communautés locales (ici les habitants de Beaune) et dont chacun peut jouir librement et gratuitement. En 1624, les échevins font arracher des vignes illégalement plantées sur les communaux. Cependant, en 1632, il apparait que la Combe est toujours « emplantée de vignes par plusieurs pauvres ». La Ville intente donc un recours auprès du Parlement de Dijon pour confirmer le statut de la Combe Gaufillot.

« la Combe Gaufillot dependant des communaux de lad(ite) ville ayant servy de tout temps pour le pasturage du betail avoit esté emplantée de vigne par plusieurs pauvre à la ruine des vins nobles« 
 

Cette opposition entre des particuliers et la Ville donne à voir les limites de la puissance publique. En effet, les instances de gouvernement ne disposent pas toujours des moyens de coercition nécessaire. Il est assez facile pour des particuliers de s’approprier des terres communales, surtout dans un espace éloigné du centre urbain.

Il faut donc avoir recours à la puissante assemblée de Dijon pour faire respecter le droit. Cette dernière qui tranche en faveur de la Ville :

« Il plaise à la cour faire defense de planter des vignes en lad(ite) combe, ordonne que celles qui y avoient esté plantées seroient arrachées avec défense d’empecher le bétail de pasturer aux communaux ».

L’ordre sera exécuté dans les mois qui suivent sans que l’on trouve la trace d’un autre document sur le même sujet.

Équilibre économique et alimentaire

Ce que révèle aussi ce document, c’est que cette occupation se fait « a la ruine du vin noble ». Les pouvoirs seigneuriaux, cléricaux et urbains ont à cœur de maîtriser la filière viticole. Limiter la production c’est tenter d’améliorer la qualité et surtout de contrôler les prix du marché. Le vin, boisson sacrée et de prestige, est un marqueur social dominant dans la société médiévale et moderne. Le pouvoir est donc formateur du terroir, il entérine des pratiques de terrain mais plus encore, il définit les contours de la production.

De plus, rappelons l’importance du bétail à Beaune jusqu’au cœur du XVIIe siècle. En effet, il faut maintenir à proximité immédiate des grands centres urbains des troupeaux capables de répondre à la demande en lait, en cuir, en laine et surtout en viande. Production, abattage et lieux de distribution doivent être les plus proches possibles. En effet, il faut limiter les distances de trajet entre les lieux d’élevage et d’abattage. Le transport s’effectuant à pied, de trop longues distances risquent de faire perdre de la masse aux bêtes. Ensuite, après l’abattage, la viande doit être mise en vente rapidement pour éviter sa putréfaction. Aussi se dessine donc, dans la proximité des villes et bourgs importants, une carte de l’élevage qui impose des espaces de pâturage comme peut l’être dans les années 1620 la Combe Gaufillot. L’approvisionnement des populations est un enjeu crucial pour les pouvoirs publics, il est source de tensions dans des sociétés humaines extrêmement dépendantes du climat.

Ajoutons que Beaune est un centre d’importance dans la production de drap de laine pour l’habillement et l’ameublement. Le commerce du drap est si important à Beaune entre le Moyen Âge et le XVIIIe siècle qu’un contrôle contre la fraude est mis en place au milieux du XVIe siècle[8]. Une corporation des drapiers se met en place à la même époque signe d’un commerce florissant. On observe en conséquence que les activités économiques rentrent en concurrence pour l’exploitation de certain espace.

En somme, cette affaire de la Combe Gaufillot montre l’évolution et les contraintes à l’œuvre dans la formation du terroir. On y voit apparaitre la main de la puissance publique qui oriente l’usage de la terre, mais aussi les résistances de particuliers qui luttent pour leurs intérêts propres. De ces conflictualités naissent des espaces singuliers, sélectionnés pour leurs avantages et défauts : terres de vignes, terres de pâturage, terre de blé… Le vin et le bétail rentrent en concurrence pour l’exploitation du finage. Si l’élevage est aujourd’hui largement limité dans le pays beaunois, les terres de vignes sont restées marquées de l’empreinte des activités du passé.


[1] Les Archives municipales disposent d’un parchemin daté du 18 janvier 1396 qui interdit la plantation de Gamay au profit du Pinot et ordonne l’arrachement des plants déjà en terre. Archives municipales de Beaune (désormais AMB), Carton 94 n°7.

[2] Arrêt du Parlement de Dijon qui approuve la délibération de la mairie du 17 octobre 1631 qui ordonne l’arrachement des vignes des communaux de la Combe Gaufillot, 30 décembre 1632, AMB, Carton 94 N° 12.

[3] Les communaux sont, sous l’Ancien Régime, la partie du territoire d’un village qui, n’étant pas propriété privée, est réputée commune à tous les habitants.

[4] Délibération de la mairie qui en ordonne l’exécution de l’Arrêt du Parlement du 30 décembre 1632, 23 janvier 1633, AMB, Carton 94 N° 13.

[5] Procès-verbal dressé par la mairie de l’arrachement des vignes de la Combe Gaufillot, 23 juillet 1624, parchemin, AMB Carton 94 n°11.

[6] Pour l’étymologie voir LANDRIEU-LUSSIGNY (Marie-Hélène) et PITIOT (Sylvain), Climats et lieux-dits des grands vignobles de Bourgogne, Atlas et Histoire des Noms de Lieux, Paris, Éditions de Monza et Éditions du Meurger, 2012, p.308-309.

[7] Chaume désigne une friche herbeuse.

[8] Lettres patentes de Henri II données à Fontainebleau par lesquelles sur la requête de la mairie et pour éviter la fraude dans une ville où se fabriquent tant de draps, il ordonne que tous les draps fabriqués ou amenés en vente à Beaune ne seront vendus et exposés aux Halles qu’après avoir été visités par un expert et marqués du sceau de la ville, 22 avril 1559, AMB, Carton 4 N° 9.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s