Les Grands Ducs d’Occident est une série publiée dans l’Echos des Coms dans le cadre de l’exposition internationale qui s’est tenue à Beaune à l’hiver 2022. « Les Foires de la Saint-Martin » est l’article 5 de la série (EDC n°262). Pour les autres articles :
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Les Grands Ducs d’Occident : Les Foires de la Saint Martin
Les foires du Moyen Age sont le centre de toutes les richesses. Elles s’installent dans les grandes villes d’Occident pour quelques jours ou quelques semaines drainant avec elles épices, fourrures, céréales, objets d’art, bijoux… venus d’Europe et d’au-delà. Si dès le XIIe siècle les foires de Champagne sont les plus renommées et les mieux achalandées de la Chrétienté, Beaune n’eut de foires que par les « graces especiales » de Jean sans Peur en 1404. Petite histoire…
Privilèges de foire
La ville de Beaune possède évidemment des marchés où s’échangent les objets et nourritures nécessaires à la vie quotidienne. Ces marchés sont étroitement encadrés par diverses lois et règlements ; des taxes et des droits indirects sont prélevés sur les vendeurs. Les denrées sont d’origine locale et vendues dans les rues autour de la halle. Si on ne connaît pas aujourd’hui l’époque exacte de la construction de la première halle de Beaune, elle remonte probablement au XIIe siècle. Les foires, contrairement aux marchés, bénéficient de franchises, c’est-à-dire que les marchands ne payent pas de taxe. Aussi, elles attirent en général des négociants venant de loin, chargés de produits plus luxueux ou issus de productions venues parfois depuis la Scandinavie, voire l’Asie, à travers le Proche-Orient.
Aux origines
C’est en mars 1404 que Jean sans Peur octroie par lettres patentes à la ville de Beaune le privilège d’organiser deux foires par an, aux dates des deux fêtes de Saint Martin en été et en automne. Plusieurs raisons sont données. La première est liée au vin : « notre ville ne soit fondee que sur le labourage des vignes qui est chose de gains, couts et missions [mais] à présent come chacun scait de petite valeur et revenu ». Cette phrase laisse à penser que la viticulture traverse une période de crise avec un effondrement des revenus de la vigne qui affecte par ricochet toute l’économie communale. La foire est donc présentée comme le moyen de redynamiser le marché local. Pourtant les lettres patentes précisent que, si toutes les marchandises bénéficient d’un affranchissement de toute taxation, le vin et le sel sont les deux denrées qui font exception.

Le deuxième argument invoqué est « qu’en toutes nos autres bones villes de notre pays et duche de Bourgogne, [il y ait] foires, une fois, ou plusieurs en l’an ». C’est là une mesure de justice. Beaune faisant partie des villes les plus importantes de ce duché il est bien normal qu’elle soit en droit d’organiser une foire.
Enfin, le troisième argument est plus sombre. La foire est autorisée pour « repeupler, relever, remettre et reffondez en bon estat notre dite ville, que tant pour les cause dessusdite, que pour les grandes mortalites, tempestes de tem(p)s et autres charges quelle a eu au tem(p)s passes, est tres fort apauvrie et depeuplee ». Les épidémies, le climat, la guerre ont appauvri Beaune et les bras manquent pour assurer le retour de la prospérité.
Laisser la ville organiser une foire, ce qui signifie un manque à gagner pour les caisses de la ville et du duc, est un moyen de panser les blessures de l’époque et de conjurer les effets cumulés des crises que la société traverse au tournant des XIVe et XVe siècles.
Vente des vins et Foires de Beaune : une postérité ?
Mais que sont devenues ces deux foires ? Il semblerait qu’elles aient traversé les siècles avec plus ou moins de succès. En effet, les Archives ne possèdent pas l’original des lettres patentes de 1404. Il n’y a que des copies, et même des copies multiples : nous retrouvons le texte dans un cartulaire de 1457, sur des papiers du XVIIe siècle, dans deux recueils (dont l’un est conservé à la Bibliothèque municipale), dans une lettre datée de l’An XIV (1806) … La multiplication des copies montre que la municipalité a eu besoin de justifier de l’existence de ses anciennes foires. Peut-être pour les faire renaitre après quelques années d’effacement, ou alors par peur de voir ce droit retiré par l’autorité royale. Il semble donc bien que les foires aient traversé les siècles.
La Saint Martin d’été était célébrée le 9 juillet et la Saint Martin d’hiver le 11 novembre (l’Armistice de 1918 l’a complètement occultée du calendrier des fêtes civiles et religieuses). On retrouve souvent des références à la Saint Martin d’hiver dans les actes de nos aïeux : cette date marque la fin de la saison agricole. Aussi beaucoup de contrats et de baux devaient être honorés ou arrivaient à échéance à la Saint Martin.
À Beaune, cette date tombe peu ou prou, juste avant un certain 3ème dimanche de novembre. Il y a donc fort à parier que la Vente des vins et les Fêtes de la vigne sont une survivance de la foire médiévale de Jean sans Peur.