Les Grands Ducs d’Occident est une série publiée dans l’Echos des Coms dans le cadre de l’exposition internationale qui s’est tenue à Beaune à l’hiver 2022. « Un gouverneur contrarié » est l’article 4 de la série (EDC n°261). Pour les autres articles :
Les Archives beaunoises des Grands Ducs d’Occident
Les grâces de Monseigneur
Octrois et Impôts
Un Gouverneur contrarié
Les Foires de la Saint Martin
Les Grandes duchesses d’Occident
Beaune, fidèle à sa Dame
Les Grands Ducs d’Occident : Un Gouverneur contrarié
L’archiviste en charge de ce billet bihebdomadaire tient à vous présenter ses excuses pour l’absence de notre série sur les Grands Ducs au numéro précédent. Est-ce un effet du hasard, car les premiers symptômes du Covid sont tombés en même temps que les premières recherches sur ce sujet qui paraît cette semaine : la Peste, la Guerre et la Disette. Au travers d’un parchemin daté du 30 mai 1439 (cote Carton 2 n°11) nous allons plonger dans les années difficiles de la fin du Moyen Âge.
Un Gouverneur mal reçu
Le 30 mai 1439, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, est amené à statuer sur une affaire de préséance. En effet, les échevins et le maire ont refusé, quelques mois auparavant, de laisser entrer le Gouverneur de Bourgogne dans la ville. Outrage suprême, la ville a été obligée par le Parlement de Bourgogne de faire pénitence « en allant au-devant du Gouverneur à sa première venue à Beaune, jusques à la porte du Bourg de Saint-Nicolas, lui présenter les clés de la ville et lui demander pardon » et surtout de verser une amende de 1 000 livres aux caisses du trésor ducal.
Les « eschevins, manans et habitants de la ville » demandent alors au duc de leur accorder sa grâce sur cette affaire. En effet, ils avancent qu’ils ne pouvaient pas accueillir le gouverneur car la cité se trouvait alors en bien mauvaise posture : depuis plusieurs mois, les murailles étaient sur le point de craquer de l’intérieur. De nombreux habitants des villages et fermes environnant Beaune s’étaient réfugiés là pour échapper aux terribles écorcheurs. Cette hausse soudaine de la population entraînait des problèmes d’approvisionnement en nourriture et en logement. Aussi, la charge supplémentaire d’un personnage important comme le gouverneur et son escorte ne pouvait pas être supportée par la municipalité, alors qu’il fallait déjà dans le même temps pourvoir à tant de misère. Le Duc Philippe, magnanime, pardonna à la ville sa mauvaise conduite et l’excusa par la dureté des temps. Il garda cependant les espèces sonnantes et trébuchantes pour les finances du Duché.
Les malheurs de la ville
Ce texte est très riche d’enseignement et nous permet de dresser le tableau de la ville de Beaune en l’an 1439. L’afflux de familles venues de l’arrière-pays trouver refuge à l’abri tout relatif des remparts de Beaune n’est dû qu’à la peur qui se résume en une exclamation : les écorcheurs ! Il s’agit vraisemblablement d’une ou de plusieurs hordes de bandits qui s’installent dans les campagnes et vivent de pillages et de rançons. Ce sont souvent des soldats mercenaires qui, dans les nombreuses périodes de trêve de la Guerre de Cent ans, se retrouvent sans solde. Ils passent alors dans la clandestinité. Ils sont, dans les années 1410-1430, un vrai fléau qui aggrave encore davantage les conditions de vie des paysans, s’ajoutant à de mauvaises récoltes causées par un climat devenu depuis près d’un siècle plus froid et humide. Les populations qui connaissent des périodes de disette alimentaire sont d’autant plus vulnérables aux maladies et virus. La Peste bien sûr, apparue en 1348-1349, fait alors des retours réguliers dans les campagnes. Mais de simples épidémies de grippe ou de gastro-entérite font augmenter la mortalité, surtout dans des villes surpeuplées à l’instar de Beaune en 1439.
Un acte politique ?
Un seul et unique document ne permet pas de tirer de conclusions sur un événement, il permet tout au plus d’écrire aujourd’hui une anecdote. Cependant, on peut se demander s’il n’y a pas dans le geste du Conseil de la ville un acte politique. Il est certain que la ville traversait une période difficile. Mais il ne faut pas s’arrêter à la première lecture et évidement chercher ce qui se cache derrière. Nous sommes en effet en présence d’un texte hautement formaté. C’est une lettre de grâce qui répond à des codes stylistiques et juridiques précis. Même dans la présentation des faits – c’est-à-dire les malheurs que traverse la ville – on cherche à ménager les habitants en leur donnant raison dans leur refus d’accueillir le gouverneur. On peut se demander alors si le fait de ne pas ouvrir les portes de la ville au gouverneur n’est pas un moyen de lui signifier le mécontentement du plus grand nombre : en effet si les écorcheurs terrorisent les campagnes, il y est un peu pour quelque chose. Dans ce cas, Philippe le Bon est appelé en arbitre et, ne pouvant désavouer ni la ville ni le gouverneur, trouve un compromis en levant la peine de la ville tout en obligeant cependant le versement de l’amende. Ceci n’est qu’une hypothèse d’interprétation. Ce texte reste cependant d’une grande richesse pour le tableau qu’il dresse de la vie à Beaune et des relations de pouvoir entre les différentes institutions et personnages de l’époque.