Nous vous proposons de partir à la chasse des douelles que plusieurs siècles de tonnelleries beaunoises ont éparpillées dans les travées des Archives municipales. Le tonneau, invention celte, est utilisé depuis l’Antiquité pour le commerce des liquides même si l’amphore règne sans partage sur le commerce du vin et de l’huile en Méditerranée. Au Moyen-Age et jusqu’au XIXe siècle, le tonneau est le conteneur du commerce mondial. Surtout destiné à l’export des vins dans notre région, il deviendra un élément essentiel dans l’élevage des plus grands crus à partir du XIXe siècle.
Attention au règlement
La tonnellerie est une activité majeure dans l’économie des villes, du Moyen-Age jusqu’à la fin du XIXe siècle. La preuve en est le grand nombre de rues portant un nom faisant référence à la profession. Comme beaucoup de métiers anciens, la profession s’organise dans chaque ville en corps de métiers. C’est le 4 septembre 1648 que les tonneliers de Beaune fondent leur corporation, du moins c’est à cette date qu’ils adoptent un règlement pour leur ordre. Ce texte définit le fonctionnement de la profession, impose des règles à respecter pour devenir tonnelier et exercer l’art. Il décrit aussi le « cahier des charges » pour la forme et la contenance des tonneaux qui doivent être « à l’eschandil (mesure) & jauge dudit Beaune »[1]. Le respect de ce règlement qui réserve au seul maître tonnelier le droit de fabriquer des tonneaux est farouchement défendu par la corporation qui fait régulièrement procès à ses membres les moins scrupuleux ou à ceux qui s’improvisent tonneliers.
De la fraude nait la qualité
Dans les archives, le contrôle de la qualité des produits est une préoccupation des pouvoirs publics et des corporations. Ce contrôle a plusieurs buts : assurer la stabilité des marchés, assurer un minimum de qualité pour les produits, développer le commerce et assurer la perception des impôts. C’est une conception protectionniste du marché qui s’impose en ces temps-là. Cela assure des rentes aux tonneliers déjà installés qui instituent une sorte de numerus clausus à l’entrée de la profession en rendant le processus d’apprentissage long, en imposant des frais d’installation pour les prétendants qui doivent s’assurer d’être cooptés par leurs pairs.
Par exemple en 1736, les Maitres Tonneliers entrent en procès contre Bathelemi Huot et Pierre Thomas. L’acte d’accusation est le suivant :
« aux vendanges de 1736 les jurés des Tonneliers furent instruits [qu’] Huot et Thomas, compagnons tonneliers, travailloient non-seulement de leur métier en leur boutique, mais encore en vieux bois, qu’ils reparoient & reblanchissoient pour faire des carteaux qu’ils vendoient au public ». [2]
Leur compte est bon : ils sont accusés de travailler alors qu’ils ne sont encore que compagnons (c’est-à-dire ayant fini leur apprentissage mais sans le droit d’exercer indépendamment) et qu’ils réutilisent d’anciens tonneaux pour en faire de nouveaux, ce qui est formellement interdit. De plus, c’est ce que l’on comprend à la lecture du reste du texte, ils n’assurent pas le « service après-vente ». En effet, si le vin se gâte et prend un mauvais goût par la faute du tonneau, ou si ce dernier fuit, le tonnelier est redevable de l’équivalent du tiers de la perte.
Ces procès ne sont pas rares, on en recense plusieurs dizaines dans les archives qui prouvent bien que la corporation est l’organe qui assure aussi bien le contrôle qualité que la répression des fraudes. De plus, elle donne à ses membres et à leurs familles un embryon de sécurité sociale avant la lettre (assistance aux veuves, orphelins et en cas de maladie des maîtres) ainsi que la défense des intérêts professionnels. En somme, toute proportion gardée, on trouve déjà des activités qui sont assurées aujourd’hui par une multitude d’institutions : syndicats, Sécurité sociale, Douanes, la Répression des fraudes…
La confrérie de Saint-Mathieu

La corporation possède une confrérie c’est-à-dire une association religieuse qui entretient une chapelle dans l’église Saint-Pierre (place Carnot). Dans les grandes cérémonies religieuses qui rythment la vie de Beaune, les confrères sont présents pour les processions, notamment pour les fêtes du Saint-Sacrement et de la Saint-Mathieu (qui est le saint patron de la confrérie) ou lorsque l’un des maîtres tonneliers ou son épouse décède. L’honneur étant un principe cardinal de la société d’Ancien Régime, la place qu’occupe chaque confrérie est un sujet de discorde comme le montre un document de 1641 où le prêtre de l’église Saint-Pierre doit arbitrer entre les pâtissiers boulangers et les tonneliers pour savoir qui des deux marchera en premier dans les processions[3]. Les tonneliers auront gain de cause. Pendant la Révolution, les corporations et toute union de travailleurs seront interdites et démantelées.
Transcription[4] du texte réglant le litige entre les deux confréries :
Du dimanche huitième jour du mois de septembre mille six cent quarante et un, au bureau de la fabrique Saint-Pierre de Beaune ou étaient :
Le sieur Vivant Micault, bourgeois
Le sieur Jacques Deslande, bourgeois
Le sieur Jullien Richard, bourgeois
Le sieur Chancellier, bourgeois
Et François Le Maidon l’Ainée, Prêtre de ladite fabrique et secrétaire de celle-ci.
Sur les remontrances à nous faites par les bâtonniers de la chapelle Saint-Mathieu fondée en ladite église, démontrant que suivant les preuves qu’ils nous ont fait apparaitre ils avaient de coutume marchés aux processions avec leurs flambeaux à la mains droite au-devant de ceux de Saint Honoré et désirent y être maintenue attendu que leur confrérie fut érigée avant celle des pâtissiers et boulangers ; entendus lesdits pâtissiers qui ont nié que ladite chapelle fut érigée en premier que c’est eux qui doivent marcher premiers, leurs flambeaux à la mains droite ; entendus lesdits tonneliers qui ont dit avoir preuve qu’ils font apparaître ; entendu ledit Le Maidon prêtre de ladite fabrique qui a dit que vu ladite preuve qu’ils font apparaître, nous devons dire qu’ils seront suivis. Nous avons ordonné et ordonnons vu ladite preuve que lesdits tonneliers marcherons les premiers audites processions avec leurs flambeaux à la main droite et lesdits pâtissiers et boulangers à la main gauche aussi avec leurs flambeaux et au regard des autres confréries il sera rendu justice pour être proclamé publiquement ; et sera donné extrait auxdites parties de la présente délibération par Le Maidon prêtre et secrétaire de ladite fabrique.
Extrait pour les pâtissiers et boulangers
Le Maidon prêtre de la fabrique



Tiré de l’article paru dans l’Echo des Coms n°279 du 22 novembre 2022 – Archives de Beaune
[1] Status des mâitres toneliers de Beaune, 4 septembre 1648, AMB carton 5 cote 17.
[2] Mémoire pour les Maîtres tonneliers de la ville de Beaune, 31 décembre 1736, AMB carton 5 cote 15.
[3] Sentence de la fabrique de l’église St Pierre qui règle que, vu l’ancienneté de la chapelle St Mathieu sur la chapelle St Honoré, les tonneliers marcheront en premier aux processions, 8 septembre 1641, AMB, Carton 3 cote 52.
[4] Le texte est largement retravaillé, la transcription intégrale est disponible aux Archives.