Henri Clemencet, fidèle témoin de la vie beaunoise, évoque dans le deuxième recueil de ses Amusements les perturbations climatiques et le tremblement de terre que connut Beaune en 1783.
Voici son témoignage (orthographe respectée) rédigé le 18 août 1783 :
« L’an mil sept cent quatre vingt trois, le six juillet, une secousse de tremblement de terre s’est fait sentir pendant l’espace de deux secondes à dix heures précises du matin, on disoit la messe de paroisse à Saint Pierre[1]. L’abbé Monnot débitoit son prône, faisoit le tableau du désastre de la Calabre, descendit de la chaire et chercha en tremblant à se sauver du péril dont on étoit menacé. A peine les portes suffisoient pour le passage des fidèles qui cherchoient leur salut hors de l’église, à peine resta-t-il quelques paroissiens qui, à l’invitation de M. Virely, curé, assistèrent au restant de la messe plus par crainte que par dévotion. Cela causa un trouble inexprimable et il le fut d’autant plus qu’on attribua ce mouvement à des brouillards secs et sulphureux qui, durant dix-neuf jours sans interruption, ont couvert la surface de la terre et obscurci l’atmosphère et sans une goutte de rosée, chose extraordinaire.
Ces brouillards ont continué encore longtems, on craignoit qu’à l’époque de dix neuf autres jours on auroit un autre tremblement de terre et plus violent qui renverseroit les plus beaux édifices et que le plus sûr parti étoit de se retirer dans les campagnes pour se garantir d’un événement aussi désastreux. Aussi les riches préféreroient demeurer dans les chaumières enfumées des cultivateurs au lieu de leurs maisons parquetées et lambrissées.
Qu’en a-t-il résulté ? Les brouillards ont disparu, le nouveau tremblement de terre attendu est mort en route et le seul mal, c’est que les fainéants et peureux de Bourgeois sont revenus. Je ne dirai pas à quelle étendue on a ressenti ce mouvement, le bruit public et les lettres envoyées de différents endroits annoncent une étendue de quatre vingt lieues. »
Ce témoignage est corroboré par le registre des délibérations municipales puisque la Chambre de Ville tient un conseil extraordinaire le même six juillet à « deux heures de relevée[2] ». Le maire Lobot-Ligier, MM. Bouzereau, Bitouzet, Lagarde, Virely, Jardot et Maupoil, échevins et le syndic, Jean-Baptiste Vallée, assistent à la séance.
Le maire est même plus précis puisqu’il indique
« que l’on a ressenty en cette ville à dix heures trois minuttes du matin un tremblement de terre qui a allarmé tous les citoyens et dont le peuple est particulièrement affecté. »
La mesure prise par la chambre de ville consiste
« suivant le désir de tous les habitants d’envoyer un exprès à M. le vicaire général du diocèse d’Autun, pour demander des prières publiques afin de remercier Dieu de nous avoir visité sans nous avoir affligés et de le prier de nous préserver de tout accident. »
Le registre de délibérations contient la copie de la lettre envoyée à M. de Grandchamp, vicaire général d’Autun[3] demandant des prières de
« quarante heures qui seront faites successivement dans toutes les églises séculières et régulières de cette ville [de Beaune] à les commencer à Notre-Dame, comme à l’église première et principalle, dont l’ouverture sera faite par une procession généralle, suivie d’un te deum en actions de grâce. »
Le registre de délibérations garde également trace de la copie de la réponse très attentiste de M. de Granchamp qui ne semble pas très enthousiaste à l’idée de cette manifestation de grande ampleur, fût-elle dictée par la foi. En effet, si Beaune a été épargnée, la ville doit penser que le tremblement de terre a pu faire des victimes ailleurs.
Ces témoignages sont intéressants à plus d’un titre, notamment celui d’Henri Clémencet car il évoque notamment « le désastre de Calabre ». Ce désastre est en fait la résultante de cinq violents séismes qui secouent la Calabre entre le 5 février et le 28 mars. Ces tremblements de terre ont fait un nombre de victimes très conséquent qu’on estime entre 32 000 et 50 000 morts. De nombreux villages sont détruits, le séisme du 5 février a même été suivi d’un tsunami qui détruisit les murs du port de Messine en Sicile tandis que les habitants de Scylla, pensant se protéger des secousses en se réfugiant sur la plage, meurent ensevelis par les eaux lors du séisme du 6 février.
Pourtant, ce ne sont pas les séismes de Calabre qui provoquent les « brouillards secs et sulphureux » dont parle Henri Clémencet mais les éruptions volcaniques qui ont rythmé les mois précédents. En effet, le 8 juin 1783, le volcan islandais Laki entre en éruption. Cette éruption est considérée comme l’une des plus importantes des temps modernes, elle a des conséquences dramatiques puisqu’elle tue 9 000 personnes, extermine 80 % du bétail de l’île et entraine une famine dramatique. Poussé par les vents, le nuage volcanique atteint l’Europe dans les jours suivants. A la même époque, du 9 mai au 5 août 1783, le volcan Asama entre lui aussi en éruption en faisant 1 300 morts.
Non loin de Beaune, à Nolay, le bailli Claude Carnot rédige une note sur les « brouillards de 1783 » mais il indique leur présence dès le 17 avril : « le 17 avril 1783, il s’est répandu sur la surface de la terre un brouillard qui s’est augmenté les jours suivants jusqu’au 9 juillet; sur le soir qu’ils ont diminué et depuis successivement. Le soleil n’a pénétré qu’imparfaitement les brouillards. On a prétendu que c’était deux planètes que cet astre [le soleil] avait attirées qui diminuaient sa chaleur (…) les brouillards n’ont fait aucun préjudice aux récoltes.«
Claude Carnot évoque lui aussi le tremblement de terre : « le 8 juillet, il y eut tremblement de terre à 9 heures trois quarts du matin, qui a duré moins d’une demi-heure. Les brouillards ont, depuis, disparu. » Il ajoute dans ces notes qu’il a de nouveau constaté le même type de brouillards le 1er thermidor an 2.
Notons enfin l’article rédigé par Antonin Guillot pour le Groupe d’études historique de Verdun-sur-le-Doubs qui évoque le tremblement de terre à travers les registres paroissiaux de Verjux et d’Auxy, montrant ainsi que cet événement n’est pas non plus passé inaperçu en Saône-et-Loire.
La conjonction de ces deux éruptions provoque les brouillards dont parle Clémencet et contribue au climat rigoureux des années suivantes, entraînant froid et famine… la Révolution n’est pas loin !
Sources :
Archives municipales de Beaune :
1 BB 79, registre des délibérations municipales 1780-1784
Deuxième volume du recueil des amusements d’Henri Clémencet.
Fonds Sylvie Carnot, copie d’une note manuscrite de Claude Carnot, bailli de Nolay sur les brouillards de 1783 et 1794.
Source internet :
https://www.herodote.net/8_juin_1783-evenement-17830608.php
Guillot Antonin, « tremblement de terre à Verjux en 1783 », Trois Rivières n°22, Groupe d’études historiques de Verdun-sur-le-Doubs, consultable en ligne : http://gehv.verdun.pagesperso-orange.fr/Tremblement-de-terre-verjux.html?fbclid=IwAR02xT_mnTJpoCDz381TuOe92xRvOEqepfxnsuzfHMTaasIPgHcjatvItAY
©Archives municipales de Beaune
[1] L’église Saint-Pierre se trouvait sur l’actuelle place Carnot.
[2] Deux heures de l’après-midi
[3] A cette période, Beaune dépend de l’évêché d’Autun et non de celui de Dijon.