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1423, année terrible ?

Pour préparer cette chronique et trouver des sujets, il est facile de chercher les anniversaires. En consultant les inventaires, une irrégularité statistique est apparue. Pour une moyenne de 3 documents par année dans les années 1400-1450, on atteint la dizaine pour 4 années : 1415 (11 pièces), 1422 (10 pièces), 1423 (11) et 1424 (12) … bizarre, bizarre !

Victoire Anglaise

Cette différence statistique est infime, mais devant la relative rareté des pièces et documents qui nous sont parvenus, elle est lourde de sens. En effet, cette période n’est pas anodine dans l’Histoire de France et surtout dans l’évolution de la Guerre de Cent Ans. Les années 1410 sont marquées par l’apogée de la puissance anglaise en France. Avec le traité de Troyes de 1420, la domination anglaise est à son paroxysme. Charles VI le Fou, roi de France, fait d’Henri V d’Angleterre son héritier au détriment de son fils. Mais le dauphin, futur Charles VII, conteste ce texte qui le lèse. La Bourgogne, alliée des Anglais, se trouve menacée directement par les armées de Charles VII …

Sauve qui peut !

Copie du mandement du Duc Philippe « pour faire contribuer les gens deglise es (à) enpavements et fortification de la ville de Beaune » du 19 juillet 1423 (la copie est de janvier 1457), Carton 2 cote 48, AMB.

Dans cette période troublée, les remparts ont une importance primordiale et il faut les réparer. En effet, le duc Philippe le Bon octroie à plusieurs reprises des levées d’impôts sur le sel et sur les loyers des étrangers. Ainsi, il prolonge pour 3 ans, le 13 janvier 1423[1], la perception exceptionnelle d’une taxe supplémentaire sur le sel à destination de la réfection des fortifications. D’ailleurs, c’est même un nouvel impôt sur les loyers qui sera institué le 31 juillet 1423[2]. Le 29 avril 1423[3], le Conseil ducal autorise les habitants de Pommard, Savigny, Santenay, Nantoux et « aultre lieus » à venir abriter leurs vins à Beaune sans avoir à payer l’octroi et, s’ils en vendent une partie, ils bénéficient d’une taxe plus légère qu’à l’accoutumée. Ce privilège leur est confirmé car ces communautés villageoises disposent d’un « droit de retrait, guet et garde », c’est-à-dire que, comme ils peuvent s’abriter (eux et leurs biens) à Beaune en « temps d’éminent péril », ils doivent contribuer au financement des murailles et les hommes chefs de familles doivent participer à la garde et surveillance des entrées et sorties de la ville. Le 17 juillet 1423[4], les Pommardois sont rappelés à leurs devoirs, bien qu’à cette époque ils semblent être en procès avec les Beaunois sur leurs privilèges respectifs. Le 19 juillet 1423[5], un mandement (c’est-à-dire un ordre) est adressé aux gens nobles et gens d’Eglise pour les contraindre à leurs obligations :

« plusieurs gens d’église et nobles tenant feu et lieu en ladite ville de Beaune et que sont tenues de contribuez aux réparations et empavement de la fortification dicelle ville, n’en ont voulu et ne veullent pas avoire chose payer ni amêment contribuer, qui a esté et est un grand préjudice et retardement dans ladite réparation et fortification et aussi un grand prejudice pour lesdits suppliant et [pour] notre dite ville qui par deffault de reparations en demeroit en péril et danger atendu les guerres ».

L’abondance des rappels aux obligations de chacun, nobles comme roturiers, afin d’assurer la défense de Beaune en cet été 1423, montre bien l’imminence du danger.

En chair et en Os

Mais de nombreux documents pour ces années-ci révèlent autre chose : la présence en chair et en os du duc sur ses terres bourguignonnes. Les lettres patentes sont toutes données depuis Dijon. Le duc est dont physiquement présent en Bourgogne en 1422-1423. La complexité de l’éparpillement de ses terres entre la Flandre et la Bourgogne l’oblige d’une part à nommer des représentants, d’autre part à se présenter régulièrement lui-même à ses sujets afin de ne jamais être oublié. Le pouvoir s’incarne par la présence effective du duc. (De plus, étant présent à Dijon, il juge directement les supplications qui lui sont faites). La guerre est aux portes du Duché : à Cravant dans l’Yonne le 31 juillet, Charles VII est défait. La rive nord de la Loire se ferme définitivement à celui que l’on appelle désormais le roi de Bourges et la menace s’écarte pour un temps des terres du Duché de Bourgogne et de Beaune.


Tiré de l’article paru dans l’Echo des Coms n°292 du 26 mai 2023 – Archives de Beaune – Mathias COMPAGNON


[1] Lettres patentes du même duc données à Dijon, par lesquelles il prolonge l’octroi sur le sel de 1420 pendant trois années, à charge d’en employer le produit aux fortifications, 13 janvier 1423, Carton 30 n°46, AMB.

[2] Lettres patentes de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qui accorde la perception du quart de cens, du loyer des maisons des forains de la ville pour la réparation des fortifications, Carton 30 n°105, 31 juillet 1423, AMB.

[3] Arrêt du conseil ducal qui permet aux habitants de Pommard, Savigny, Santenay, Nantoux etc de retraire leurs vins à Beaune dans les temps d’éminent péril, sur un simple billet du maire, à charge de 5 sols par queue pour celui qu’ils y vendront, 29 avril 1423, Carton 94 n°37, AMB.

[4] Mandement de Philippe le Bon duc de Bourgogne par lequel sans préjudicier au procès pendant entre la ville et les habitants de Pommard, il ordonne à ces derniers de venir faire guet et garde à Beaune, 17 juillet 1423, Carton 31 n°109, AMB.

[5] Mandement de Philippe duc de Bourgogne donné à Dijon par lequel, sur la requête des habitants, il enjoint au Bailly de Dijon de contraindre les gens nobles et d’église tenant feu et lieu à Beaune, à payer leur cotte de la contribution pour les fortifications, 19 juillet 1423, Carton 31 cote 1, parchemin, AMB.

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