Nous ne pouvions faire l’impasse sur un anniversaire important avant la fin de l’année. En effet, une vieille dame, hélas à la peau bien abîmée, fête cette année ses 820 ans. Pourtant, interdiction de lui approcher le moindre gâteau et encore moins la moindre bougie. Cette vénérable dame, c’est la Charte d’affranchissement de 1203 qui marque la naissance de la Commune de Beaune.
Un acte fondateur
« Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Que tous, présents et futurs, apprennent que moi Eudes III, duc de Bourgogne, j’ai donné et accordé aux hommes de Beaune le droit d’avoir une commune a toujours et dans la forme de celle de Dijon, sans rien toucher aux libertés qu’ils avaient antérieurement dans la ville de Beaune. » C’est par ces mots directs qu’Eudes III offre à la Ville de Beaune un nouveau statut. En devenant une Commune, la ville obtient une certaine indépendance politique, militaire et financière et en contrepartie le Duc s’arroge des renforts potentiels et des taxes nouvelles pour ses armées. La ville, notamment en matière économique, gagne en indépendance, ce qui profite aux affaires des principaux notables. Elle sera dorénavant représentée par un Mayeur et 10 Échevins élus chaque année.
L’Europe du début du XIIIe siècle connaît depuis 200 ans une période de prospérité qui enrichit les villes et profite à une population de plus en plus nombreuse. Beaune est en train de prendre les formes que nous lui connaissons aujourd’hui : les faubourgs (Madeleine, Saint-Nicolas, Saint-Martin…) se peuplent de maisons.
Un texte juridique
Après ces mots d’introduction, c’est toute une série d’articles qui se développent et précisent un certain nombre de points des nouvelles relations entre le Duc et la Commune en matière judiciaire, économique, militaire et religieuse. Par exemple, le Duc déclare : « Je pourrai avoir à Beaune un crédit de pain, de vin et d’autres provisions de bouche », le tout pour ses armées ou sa cour. En matière de justice, le texte définit les pouvoirs du Mayeur et des échevins et ceux qui demeurent entre les mains du Duc. Par exemple : Les délits relatifs aux fruits (ici fruits signifie tous les produits de la terre, le blé compris par exemple) seront du ressort du mayeur et des jurés ; à moins qu’ils n’aient eu lieu la nuit. Dans ce cas, le coupable me paiera soixante-cinq sous. » En contrepartie des devoirs nouveaux s’imposent pour les hommes de Beaune : « Si j’appelle la commune sous mes drapeaux, ses hommes marcheront avec moi, avec mon sénéchal, ou avec mon connétable dans le royaume de France, selon leur faculté, convenablement ; et ils resteront quarante jours.
Le texte intégrale traduit en français de la Charte
Mais si j’assiège quelque château dans l’intérieur du duché, ils seront avec moi le temps que je voudrai. » Enfin, en matière fiscale, la ville devra dorénavant « 200 marcs d’argents », une belle somme pour l’époque, mais en contrepartie de quoi les habitants ne paieront plus la taille qui est l’un des principaux impôts directs sur les biens et les personnes à cette époque. La Charte ne se suffit pas à elle-même. Les successeurs d’Eude III, puis les Ducs Valois de Bourgogne et enfin les Rois de France, compléteront la Charte de 1203 par d’autres privilèges et droits particuliers comme la fixation de la levée du ban de vendanges (on ne peut ramasser le raisin avant cette date) en 1210, le droit d’avoir un Beffroi, de prélever l’octroi (taxe sur les marchandises entrant en ville) et bien d’autres droits jusqu’à la veille de la Révolution Française.
Les dangers du temps
Nous avons la grande chance de posséder ce document qui a hélas souffert du passage du temps : la Charte a en effet pris l’eau servant à éteindre l’incendie de la toiture de l’Hôtel de Ville en 1936. Une autre interrogation sur ce document, c’est qu’il n’a pas de date précise, nous savons simplement qu’il est « fait l’an du Verbe Incarné, 1203, sous le règne de Philippe, roi des Francs ». Il est à noter que le texte est en latin : c’est finalement une chose assez rare dans les archives de Beaune. Si l’Ordonnance de Villers-Cotterêts est souvent donnée comme l’obligation d’utiliser le français dans les actes publics, en réalité elle est rapidement adoptée en Bourgogne, pour les actes civils, dès le XIVe siècle. Le texte intégral en français de la Charte est disponible sur le blog des Archives.
Tiré de l’article paru dans l’Echo des Coms n°303 du 5 décembre 2023 – Archives de Beaune – Mathias Compagnon