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Victor Chocarne, un abbé oublié

Chaque année l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres publie ses Célébrations de Bourgogne, petit ouvrage qui présente les grands anniversaires de la Bourgogne ainsi que les naissances et les décès de Bourguignons remarquables. Ce petit livre a attiré notre attention sur un personnage oublié né le 31 janvier 1824 : l’Abbé Victor Chocarne[1]. Curé de Saint-Nicolas de Beaune pendant 26 ans, il fut un ecclésiastique très actif dans la seconde moitié du XIXe siècle marqué notamment par les luttes religieuses entre les Républicains et les Catholiques.

Une vocation familiale

Portrait de Pierre-Victor, paroisse de Beaune. Cliché des Archives avec l’aimable concours du Père Jacques Wahart et du Père Dominique Garnier.

Né le 31 janvier 1824 à Dijon, il est ordonné prêtre le 9 juillet 1848. Son frère, Bernard Chocarne (1826-1895) est également un ecclésiastique, puisqu’il est prêtre dans l’ordre des Dominicains. L’un de leurs neveux, Paul Chocarne-Moreau (1855-1930), est artiste-peintre, connu pour ses peintures de jeunes garçons facétieux issus de milieux populaires. Victor Chocarne arrive à Beaune en 1860 pour prendre la charge de curé de Saint-Nicolas. Le 29 juin 1860, une lettre annonce au Maire de Beaune la nomination de ce nouveau curé : « [l’Évêque de Dijon] a nommé à St-Nicolas un prêtre plus jeune et plus actif. C’est Monsieur l’abbé Chocarne desservant de Pluvault qui se rendra à sa destination dans le cours de la semaine prochaine »[2].

« Un prêtre plus jeune et plus actif »

L’abbé Chocarne fut un homme très présent dans l’animation de sa paroisse. Il a malheureusement laissé assez peu de traces dans nos archives, mais l’on connait quelques une de ses actions notables. Il est tout d’abord un animateur volontaire dans L’Œuvre de la Jeunesse, association de patronage pour les jeunes fondés en 1854 et qui deviendra en 1910 Les Fils de France[3].Dans les années 1870, avec son frère, il aide Marguerite de Blic à fonder à Beaune[4] les Petites Sœurs dominicaines gardes malades des pauvres, à proximité de l’Église Saint-Nicolas (actuelle rue des Dominicaines) qui ont continué leur action dans cette même ville jusqu’aux années 2010. En 1873, il participe au rétablissement du pèlerinage du Petit Roi de Grâce au Carmel de Beaune, initié dès le XVIIe siècle. Outre son œuvre d’aide aux malades et aux pauvres, il participe aussi à la réinsertion des femmes sortant de prison. Cependant, son action doit composer dans les années qui suivent la Guerre de 1870 avec un pouvoir politique qui oscille entre Ordre moral et républicanisme anticlérical.

Le glaive contre le Goupillon

La défaite de la France de 1870 provoque un grand trouble politique et moral. Une partie de la société y voit la conséquence des révolutions du XIXe siècle et surtout de la déchristianisation de la France. Alors qu’une partie du pays est encore occupé, les Français portent une majorité royaliste à la Chambre des députés. Patrice de Mac-Mahon est élu à la présidence de la République avec pour projet de rétablir la monarchie et mène avec Albert de Broglie, chef du gouvernement, une politique d’Ordre moral qui se traduit par une action de reconquête religieuse des populations et une lutte contre le radicalisme républicain. C’est dans ce contexte qu’est adoptée la loi déclarant d’utilité publique la construction de la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre, aussi pour honorer les ecclésiastiques exécutés pendant la Commune de 1871. Dans le même temps, les républicains mènent de violentes campagnes contre l’Église catholique.

Fait intéressant, en 1882 face à un arrêté interdisant les processions religieuses dans les rues de Beaune, alors que le curé de Notre-Dame proteste ouvertement contre l’interdiction dans ce récépissé de transmission dudit arrêté municipal, le père Victore Chocarne se contente d’accuser réception. Notification de l’arrêté municipal les processions religieuses pour 1882, 5 P 1, AMB.

Le Pèlerinage des bannières

C’est dans ce contexte que Victor Chocarne visite en octobre 1871 le sanctuaire de Lourdes. Impressionné par le lieu, il a l’idée d’un grand pèlerinage pour ranimer la foi des Français. Soutenue par Marguerite de Blic, puis par l’épiscopat français et enfin par le Pape Pie IX, la Manifestation de foi et d’espérance de la France envers Notre-Dame de Lourdes est organisée du 5 au 8 octobre 1873. C’est un franc succès puisqu’il réussit à réunir plusieurs milliers de pèlerins en présence d’évêques, d’abbés et de nombreux religieux tous représentés par de nombreuses bannières paroissiales qui firent connaître l’évènement sous le nom de Pèlerinage des bannières. D’ailleurs, pour se rendre compte des tensions entre républicains et catholiques à cette période, il faut lire le reportage du Journal de Beaune qui, sous le titre « Mon voyage à Lourdes »[5] livre un récit ironique et violent du rassemblement et de la figure du Père Chocarne.  Pourtant, l’œuvre de Victor Chocarne se perpétue toujours puisque le pèlerinage à Lourdes existe encore aujourd’hui. Saint-Nicolas garde également la trace des liens entre l’abbé Chocarne et Lourdes par la présence d’une Grotte de Lourdes en pierre de Rochetin abritant une statue de la Vierge Marie. L’abbé Chocarne quitte ses fonctions au printemps 1886, tout en restant l’aumônier des sœurs. Il meurt à Beaune le 3 mai 1887[6].

Ouvrage de Victor Chocarne :

Notice nécrologique sur M. l’abbé Etienne Clerc, chanoine honoraire, archiprêtre et doyen de Notre-Dame de Beaune, Imprimerie Batault, Beaune, 1870.


Nos sincères remerciements au Père Jacques Wahart pour l’accès au portrait de V. Chocarne.

Tiré de l’article paru dans l’Echo des Coms n°306 du 23 janvier 2023 – Archives de Beaune – Mathias Compagnon


[1] Chauney-Bouillot Martine, « 1824 : Naissance du P. Victor Chocarne, promoteur de pèlerinage », in Célébration de Bourgogne 2024, Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, Dijon, 2023, p. 57-58.

[2] Lettre informant du remplacement de M. Arbinet par l’abbé Chocarne à l’Église Saint-Nicolas, 29 juin 1860, AMB 1 P 4.

[3] Salat Jean, Sorlot Marc, Les riches heures des Fils de France de Beaune, de 1854 à nos jours, Fils de France/Centre Beaunois d’Études Historiques, Beaune, 2015.

[4] Communautés religieuses, Ordres des Sœurs Dominicaines (1878-1978), dossiers de 22 pièces, 1 P 11, AMB.

[5] G.B., « Mon voyage à Lourdes » in Le Journal de Beaune, 12 octobre 1872, p.3.

[6] Registre d’État Civil de la Ville de Beaune, acte de décès n°129, Pierre Victor Chocarne, 3 E 94, AMB.

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