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Archiver, c’est détruire ?

Voilà un titre d’article un poil provocant, mais qui lève le voile sur une part importante du rôle de l’archiviste : celui de sélectionner ce qui entrera dans la mémoire du temps. En cela il n’est pas totalement libre et ses choix sont dictés par les nécessités et encadrés par une législation rigoureuse.

Nos archives prêtes à partir pour l’élimination, mars 2024, AMB.

On oublie trop souvent que les institutions, les entreprises et les familles ne conservent pas leurs documents pour les historiens. Elles le font surtout pour prouver leurs droits ou garder une trace de leurs activités pour s’y référer. L’archives est avant tout administratives. C’est la valeur probante du document qui en fait d’abord son intérêt. Aussi tout papier à une durée d’utilité administratives (DUA dans le jargon du métier) : c’est la durée pendant laquelle un document doit obligatoirement être conservé car il peut servir dans le cas d’un litige. Il n’y a qu’à regarder une facture EDF d’électricité où la mention « document à conserver 5 ans » apparait en toutes lettres en haut de l’imprimé. Sur certaine fiche de paie, c’est plutôt la mention, « à conserver sans limite de temps » qui apparait car, notamment dans le calcul des droits à la retraite, elle peut toujours servir. Aussi, arrive toujours l’instant où un document perd de son utilité. Alors que faire : tout garder ? Nous friserions le syndrome de Diogène ! Une fois la DUA passé, une sélection des pièces est réalisée en fonction de leurs importances où de l’utilité qu’elles peuvent avoir pour documenter une époque donnée.

Chaque année, les services municipaux et intercommunaux beaunois nous versent en moyen 70 mètres linéaires de boites d’archives. Pour faire le tri nous sommes tenues de respecter une réglementation imposée par la loi mais aussi quelques règles de bon sens. Ce qui compte avant tout c’est la préservation de l’information. Les formulaires vierges, les brouillons ou les documents intermédiaires ne sont pas gardés… enfin sauf si l’archiviste juge que cela peut en valoir le coût si le document offre une information que l’on ne retrouve pas ailleurs. Ainsi par exemple, les factures ne sont pas gardées au-delà de 10 ans, sauf celles relatives à des manifestations ou des travaux importants. Par ailleurs, certains dossiers sont gérés par plusieurs services (un aménagement routier va être traité par les services de l’urbanismes, des finances, les services techniques, le Cabinet du maires, l’élu en charge…). Afin, d’éviter au maximum les doublons, nous cherchons toujours à conserver les pièces qui résumes l’apports de chaque service au traitement du dossier. Enfin, il y a des documents qui sont réglementairement détruits car ils contiennent des informations sensibles sur les personnes : les dossiers d’inscription des enfants aux services périscolaires, notamment les copies de carnets de vaccinations ou d’ordonnances médicales… n’ont pas à être conservées.

La benne pleine, mars 2024, AMB.

Une fois les pièces à conserver et les pièces à éliminer séparées commence le très sourcilleux protocole de contrôle de la destruction. Les archivistes rédigent des bordereaux de destruction qu’ils soumettent au contrôle du service ayant versé les documents. Après validation des services, c’est le départ des bordereaux pour Dijon : en effet, en France, seul le Directeur des Archives départementales est autorisé à permettre la destruction d’archives publics. Nos bordereaux sont donc relus et visés. La destruction proprement dite à lieu une fois par an : les boites d’archives, confiées à un prestataire extérieur, sont mélangées à d’autres provenant de diverses institutions, elles sont réduites en confettis qui serviront pour la préparation de pâtes à papier.


Tiré de l’article paru dans l’Echo des Coms n°308 du 5 mars 2024 – Archives de Beaune – Mathias COMPAGNON


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